Maux d'esprits
S—Quand j’ai dit à Devos, le prince des mots, que j’allais écrire sur les mots, il s’est offusqué !
D—Tu n’y penses pas ! ça va faire tache ! illisible pour ceux qui doivent apprendre à parler la même langue, pour le futur présent du passé.
S—Tu as d’autant plus raison que la tour de Babel a fait sa mise à jour : Mot de passe ou touch : je traduis pour les béotiens : cela veux dire ouvrir. Puis : Control, command, clic d’une touche à l’autre ! Plus besoin de mâcher ses mots. Clic droit : ON est branché ! On communique ! ON est à New-Babel, sur le net, pour du mot à mot.
Fini Motordu ! désolée Prince, il faudra repasser tes mots poétiques, tes mots à rire, tes mots froissés, inconnus à Babel où les onomatopées font rages, y tournent à vide, devenus Nickel, sans aspérité, sans doute, sans réflexion et sans âme surtout !
D—L’âme ! quel gros mot s’esclaffe Devos ! Fini les âmes en fêtes, pleines d’esprit, vibrantes. Les âmes en peines font désordre, sont chassées… Les robots sont rois !
S—Dis Devos, tu l’avais deviné l’avenir de ce New-Babel ! Mais ton âme, elle, est restée planquée derrières les mots et les silences de tes textes, pour qui sait les entendre.. Ouf ! Elle m’inspire toujours, et grâce à toi je fais des salades de mots ?
D—Moi qui vois ça de haut, franchir le mot, l’assaisonner, c’est à tes risques et périls ! Sinon tu rentres dans le moule : motus et bouche cousue, à New-Babel.
S—Mais, l’Esprit de Dieu, aura-t-il le dernier mot ?
D—Mystère ? Les simples d’esprits seraient-ils plus vivants que les Babéliens
qui prennent chaque mot au pied de la lettre ?
S—Au bas mot, les babeliens font disparaître, pour moins que rien, les mots tabous, les mots d’amour, les mots doux, les mots d’esprits et même des gros mots. Si le Maux Râle gémit, ils ont oublié que mots et gros mot soulagent corps et âmes.
Chut ! Il me revient un gros mot sur le bout de la langue ! Oh ! Il a chu et tu le sais mieux que moi, du verbe choir, du perchoir sur le crottoir.
Et moi, sans un mot, sans sac-plastique, je l’ai laissé sur le macadam avec un « A Dieu ! »
Mais un passant, sans mot d’ordre, a mis son pied, gauche, un peu gauche, dedans.
Et c’est grâce à ce pas de travers, oh joie ! qu’il a transcendé son malheur, en découvrant le sésame du bonheur.
Et vive la merde !
D—Encore un gros mot !
S—Toi, tu vas pas t’y mettre à ne pas vouloir appeler un chat un chat. D’accord, tu préfères le mot de Cambronne. Ça fait plus chic. C’est sûr ! Mais le mot de Cambronne dans un sac plastique ça fait désordre ! Et puis pour cela, il faut savoir faire partie des lettrés ce qui n’est pas gagné à New-Babel.
Dans l’air du temps qui passe, je persiste à vous écrire avec mes mots, malgré le silence des vôtres, qui me donnent vie, envie. Paradoxe ! Alors Étonnez-vous des silences, des mots en vracs des gens qui s’indignent, qui résistent à mots perdus, à corps perdus avec leurs mots vivants, pleins et riches de sens !